Actes n°3 / Patrimoine matériel et immatériel dans les Sociétés des Suds et des Orients

Le langage poétique hybride du Melhoun : Voix et miroir de la société marocaine

Salma Fellahi

Résumé

Depuis l’Antiquité, la perception de l’artiste est une vision singulière de l'univers des formes ; que l’œuvre soit écrite ou orale.    Notre objectif s’inscrit dans cette perspective. Ayant pour corpus des extraits de chants poétiques marocains faisant partie du Melhoun, nous voulons prouver que le cheikh (poète) du Melhoun, malgré qu’il n’ait pas reçu une formation académique, est un porte-parole et un instituteur. Grâce à sa fantaisie verbale nourrie de rythmes, de jeux sonores, d’images poétiques et de références socioculturelles, il propose une vision à la fois réelle et fictive du milieu dans lequel il vit. En conséquence, sa poésie est liée à son vécu, à sa mémoire collective et à sa capacité inventive, où le langage est plus important que la langue. Ceci ne peut que représenter une partie du patrimoine immatériel car elle a trois pouvoirs importants : littéraire, historique et socioculturel. 

Abstract

Since Antiquity, the artist's perception has not been a "view" of the world but rather a "vision" of the universe of forms; whether the work is written or oral, a donation, or theoretical writing. Our goal is manifested in this perspective; we want to demonstrate that an artist is not named as such just because he is literate. Having as a corpus from Moroccan poetic songs that are part of the melhoun, we want to prove that the sheikh (poet) of Melhoun, despite not having received any academic training, is a spokes person and a teacher. His verbal fantasy nourished by rhythms, sound games, poetic images and socio-cultural references, offers a vision real and fictitious at the same time of the environment in which he lives. As a result, his poetry is related to his traditions, his experiences, to his collective memory and to his inventive capacity where the traditionnal language is more important than classical language and which represent a part of the intangible heritage that must be recognized and protected, because, it has three important powers: literary, historical and socio-cultural.

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Introduction

Comme tout autre poète lettré ou  pas, celui du Melhoun - chant poétique populaire  marocain né au 15ème siècle au sud du Maroc - se veut le porte-parole de sa société, son instituteur, dépassant ainsi  les autres par sa capacité à poétiser ce qu’il voit, malgré qu’il n’ait pas eu de formation académique. Dès lors,  grâce à sa fantaisie verbale nourrie de rythmes, de jeux sonores, d’images poétiques et de références socioculturelles, il propose une vision à la fois réelle et fictive de son milieu et reproduit ainsi des faits socio-politiques, use d’un code linguistique dans lequel les figures de style occupent une grande place. Autrement dit, la tradition culturelle est transformée par le cheikh[1] qui donne à sa langue commune des fragments poétiques qui engendrent non pas une connaissance du milieu mais une reconnaissance, si bien que la tradition culturelle devient une tradition poétique. Celle-ci comporte un surplus sémantique qui, au-delà des significations référentielles, assure un contenu traditionnel linguistique et littéraire.

Le langage poétique est alors à ne pas confondre avec le langage pratique ; le Melhoun use des deux pour en faire son mode d’expression hybride. Cette richesse a incité L’Académie du Royaume du Maroc à vouloir l’inscrire dans le Patrimoine culturel immatériel ; le dossier est d’ailleurs en cours de préparation depuis quelques années.

Nous tenons à souligner que notre intervention se concentre sur le Melhoun en tant que texte poétique et non en tant que chant poétique, des textes que nous avons traduit - tout comme l’a fait Fouad Guessous  (écrivain et amateur du Melhoun) et dont nous utilisons certaines traductions - de l’arabe dialectal marocain vers la langue française[2].

Le langage du Melhoun : une langue hybride

Les différentes influences qu’a subies le Melhoun ne sont pas d’ordre thématique et culturel seulement. Elles sont également d’ordre linguistique : la langue utilisée dans le Melhoun, bien qu’elle soit dialectale puise énormément de la langue arabe littérale, poétique et celle du Coran, ce qui en fait une langue hybride[3]. L’arabe classique, devenu langue officielle du Maroc depuis le début du Moyen-Âge, avait permis l’accès aux textes scientifiques arabes anciens aussi bien par la communauté musulmane que juive. Par ailleurs, cette langue classique n’est pas restée longtemps l’élément de prédilection des textes poétiques marocains. Les poètes s’y inspirent certes mais transforment à leur guise les expressions et les sonorités.  Ce qu’Ibn Khaldun[4] avait intitulé Ârud al balad[5]  (rimes des villes)[6], utilise alors une nouvelle langue : il s’agit d’un dialecte nourri de termes arabes classiques soutenus, en grande majorité. Par conséquent, le langage du Melhoun se distingue par rapport au parler commun de la société marocaine ; la complexité et le choix de certains termes lui confèrent son caractère poétique et singulier. D’ailleurs Abbas El Jirari[7], dans Al Qasida[8], souligne ces deux aspects. Selon lui, il existe un parler marocain, nuancé selon les régions et tribus, utilisé pour communiquer. Et puis il y a le registre linguistique utilisé par le zajjal, (poète) qui arrive à créer un champ thématique où les expressions ne sont, en général, que symboles, comparaisons et métaphores. 

De ce fait, même si le dialecte marocain est inspiré de la langue arabe classique, certains termes utilisés dans le Melhoun ne sont pas à la portée de tout le monde. Selon El Jirari, il n’est guère évident d’emprunter la langue des lettres[9] au point de singulariser des poètes tel que Abdelaziz El
Meghraoui[10]qui utilise un langage très proche de la mu’âllaqa[11] arabe où les figures de style foisonnent. Cet extrait de « Tourterelles de Tourelles/ Hmam stah » [12] en est l’exemple :

Divines beautés! Implorez la grâce !                         
Elle et la tourterelle des terrasses
A la chevelure ruisselante
Aicha et fatma l’éblouissante!                                        
Transi est mon corps! Troublée est mon âme.
Et mon humeur ternit sans flammes!                             
L’épée d’Eros m’assaille où que j’aille,
Ses armées m’assiègent je suis sans mitraille!                                        
Déchaînée enragée est la bataille!
Ses cavaliers ses archers m’assaillent!

يا جمع الباهيات رغبو فيا مصبوغت اللماح
  هيا و حمامت السطاح
مبروم السالفين غيتة
و هلال الزين فاطما
يا تعدامي كدات ناري وتروع ساكني و جاح
وخسف لوني بلا جراح
  مير الغيوان سل سيفو و حركلي للملاطما
 وهزم جندي و صاكلي و نا لا بارود لا سلاح
  ودفع بالغيض للكفاح
 و غشاني يمني و يسار
 بكصاص الخيل و الرما

En dehors de ce poète, les autres chantres s’inspirent aussi de l’arabe classique. Mohammed El Fassi[13] explique le lien avec cette langue par les leçons données dans les mosquées où les bardes du Melhoun n’hésitent pas à poser des questions à l’imam âlim (théologue). Cette influence est par exemple visible dans « Messeigneurs descendants du prophète/ Assadati wlad Taha »[14] de Driss Ben Ali[15] :

Vous êtes les purs vous êtes les sincères,                         
Vous êtes du Prophète les descendants fiers
De Sa mansuétude il vous a habillés,                                                   
De ses secrets il vous a gratifiés.                                
De la noble de Koraich, la bienfaitrice,                  
Sublime et magnanime, vous êtes le fils,                            
Lalla Fatéma la Sainte l’Immaculée,                      
La distinguée l’inégalée l’auréolée

La nuit de noces Taha a supplié                     
Dieu pour elle et son cousin et tout leur foyer :                            
«Seigneur faites que leur union fleurisse,             
Que la communauté s’accomplisse et se tisse!»

Ah! Quelle nuit sublime et emplie de merveille    
Nuit de l’éclipse de la lune et du soleil,                      
Dieu a souscrit à la prière du Prophète                      
Sa requête est satisfaite sur la planète.

انتم هل الصفا والوفا ونتوما لنبي الال
طهركم حق دا الجلال
وعطاكم كامل العطيا فحسن سرار والباهرا
انتم ولاد الشريفا القرشيا دورت الجمال
الكريما زينت الفعال
مولاتي فاطمة البتول الحوريا القاسرا
في ليلت عرسها دعاليها طها سيد الرجال
ودعا لبن عمها وقال
الله وما طيب نسلهم وكمل عرس حيضرا
مسعدها يا فهيم ليلا فاقت عن ساير الليال
لتقات الشمس بالهلال
.وقبل ربي ودعا حبيبو فالدوريا كماترا

En conséquence, il n’est point surprenant d’y remarquer un métissage linguistique intégrant le dialecte marocain et l’arabe classique, d’où la notion de diglossie qui est inévitable. Ce métissage auquel les poètes ont eu recours témoigne du désir de plaire et de rivaliser avec leurs ancêtres arabes lettrés : grâce à une langue soignée, ils accèdent eux aussi au beau poétique où même le langage gastronomique est intégré dans certains poèmes. Prenons l’exemple du « Festin / Zerda»[16] de Mohammed Ben Ali Mesfioui[17] :

Et pour commencer, apporte-moi du couscous
Mais prends bien garde![Que] tes mains ne l’éclabousse
Qu'il soit servi dans une très grande soucoupe
Note que le beurre y aura le vent en poupe!
Garnis- le de légumes fraîches et de viande
Puis un tajine de tfaia[18] aux amandes
Et une seffa[19] où les pigeonneaux abondent
Bien au chaud et en disposition profonde
Pour que leur dialogue avec le vermicelle
Soit tendre amoureux et confidentiel          
Que le riz soit bien bouilli dans un lait très pur
Puis une soupe aux vermicelles en parure,
Mais qu'elle soit bien chaude et torrentielle!
Apporte les tajines les plats et les bols !

هات لي فالأول سكسو
ولا تخلي حد يمس
يكون في شي طبسيل كبير
بالزبادي راوي
واعمل عليه غنمي**وخضاري رايقة نفيسة
دير تفاية مع الزبيب**ولوز وبصلة
كذاك سفة بفراخ من الحمام
مردومة وسخونة
مع الشعرية للغاها عشيق
بالحليب الصافي   ** والروز يطيب مليح
أرى من الفداوش شربة
وتكون راوية وسخونة
أرى طواجنك وصحونة

Cet extrait de poème pourrait être comparé à une recette de cuisine, vu que le chantre décrit dans les moindres détails les spécialités marocaines, présentées à travers des images socio-poétiques et culturelles. Y sont décrits les plats traditionnels que l’on mange généralement lors des célébrations de tout genre dans le but de les faire connaitre, d’où la nécessité de traduire ces textes dans toutes les langues. Cet élan socioculturel est également omniprésent dans les poèmes à caractère politique où le fabuleux occupe une très grande place. Elans socioculturels, politiques et fabuleux : Quel lien ?


Comme nous l’avons mentionné précédemment, le poète du Melhoun jongle aisément avec les figures de style. De ce fait, les noms relatifs à la nature, aux animaux et aux objets sont utilisés afin de transmettre un message lié aux croyances et aux inégalités sociales. C’est le cas, par exemple dans « Le merle et le canari »[20] de Ben Ali Mesfioui.  Ce poème est un dialogue connotatif entre deux oiseaux chanteurs : un merle et un canari, tous deux faisant partie d’une catégorie d’oiseaux auxquels les artisans marocains se sont habitués à avoir comme animaux de compagnie. Les mettant dans des cages pour profiter de leurs chants, ils sont devenus leur source d’inspiration.

Dans le poème de Mesfioui, le merle reproche au canari de s’être expatrié pour finir enfermé dans une cage, les ailes coupées, ce qui en fait un adversaire diminué et incapable de chanter comme le merle :

Tu t’es permis d’envahir mon univers
Alors qu’il n’a pas besoin de toi!
Peut-importe où et quand,
Ta mine est toujours exécrable.
Pauvre oiseau ! Dans les prisons,
Tu passes tes pénibles journées, déchu de tes plumes ailés
(Notre traduction).

جيتي لبلادي و لا دركت شان
و لا عمرت بك أوطان
في كل ان
تصفار و تذ بال ابلهجر يرقان
طير أيامك افلشقا مع السجان
سير عادم الجنحان[21].

Le canari, afin de se défendre, se vante d’être aimé par tout le monde pour sa grâce et sa belle voix :

J’ai été apprivoisé quand j’étais jeune
Aussitôt, la gloire m’avait ouvert son seuil !
De tout temps, dans toute circonstance,
Je ne connais guère le sommeil et la réticence :
Et chante le bonheur tel un sultan sur son trône
Entouré de gens de tout âge.
(Notre traduction).

جابوني و انا صغير من لعجام
و ادركت علو و مقام
طول الدوام
و لا نام  كانلاغي وقت الهنا بكل أنغام
تلقلاني وسط البساط كي السلطان
.[22]بين الريام و شبان

Le poème se poursuit sur une tonalité ironique sous forme d’insultes entre les deux personnages que tout différencie. L’un réside dans sa propre ville, l’autre est expatrié, donc étranger. C’est dire la jalousie et les concurrences dans les régions du Maroc, des concurrences nées des migrations que la population native de la région considère, parfois, si l’on ose dire comme une identité volée à l’autre.

Ici, il s’agit, éventuellement, des propriétaires poètes eux-mêmes. L’histoire se termine par la réconciliation des deux oiseaux, action que nous retrouvons dans la plupart des poèmes de ce genre.

Cette tradition est d’ailleurs très appréciée de nos jours et ravivée par certains poètes dont Ismail Alaoui Selssouli[23]. Ainsi est-il dans son poème « Dispute entre le téléphone fixe et le téléphone portable/ Khssmat lportable wl fixe» :

فاللول ناض المحمول + كيسرسر و انا مشغول + مع الصفحة الرياضية ديال
 كاس العالم + ملي مشيت نسمع من نادني + كانشوف الثابت زعفان + كايعاير          
 خارج لحوال + ثم قايل ايا البورطابل + خبرني بعدا منين طحت و اتزويت +
 ابحال سراق الزيت نعني الي ادويت + غير الشنعة اللي اديت + و انت شايط
 فالزناقي عند الولاد الصغار + حين اظلام الليل بيك لعبوا طاب الفول يا قشيوش
 عاشور + الناس بك تلفات + و الحوادث زايدة فالطرقان اسبابها انت يا عرق
 النحس + للجوامع داخل و على المومنين شوشت فاصلاتهم + محسوب شيطان
 رجيم ما توقر حرمة و لا امقام
[…]
ناض البورطابل زعفان + جاوب الثابت بالبيان + ما حشمت ما راعت + فالركينة
منسي هذا اشحال + بان عليك الشرف يا المشلول ما تمشي ما تجي + بخيوط مكثف
زايد لفضيحة فوق السطاح + و انتيا زعما قديم و غشيم سرك اتلاح مع لافيراي ديال
هتلير + وذنيك مقلشين رفعوا سماعة مخرششة معطوبة عشرين عام + ما يتفرز
.[24]صوت لكلام

C’est bien le portable qui a commencé !
Voilà qu’il sonne alors que mes pensées
Avec le mondial se prélassaient
Que vois-je ? Le fixe en pleine rage !

« Eh ! Portable, dis-moi sans ambages,
Tu tombes bien par terre comme un cafard,
Et ton son devient nasillard,
Ta renommée ne repose sur rien
Tu cours les rues comme un bohémien
Même les petits gosses te possèdent
Et dès que le jour à la nuit cède
Ils font de toi leur jouet modèle

Pauvre accessoire du Père Noël !
Tu détournes les gens du bon chemin
A cause de toi les gens sont perdus,
Les accidents de la route répandus,

Tu en es la cause, tête de mule !
Même dans les mosquées tu déambules

Tu déranges les fidèles en prière
Tu n’es qu’un Satan qui rien ne vénère

[…]Sur ces mots le portable se dressa
Et de répondre au fixe, il s’empressa.
Tu n’as pas honte espèce de reclus !
C’est la vieillisse qui te dévalue
Tu n’es qu’un impotent sédentaire
A l’allure stupide et grossière[25].

Dans ce type de poèmes à caractère humoristique, il est généralement question de conflits de générations et de classes sociales où le barde tente de reconstituer les choses, narrant son échange avec les éléments :

ابقيت فاهي نسمع لخصام + كانت فراجة يا الكرام + دخلت بخيط ابيض كل واحد
 شديت بخاطر + و تفاجا لغيار كلت لهم انتم بزوج لايقين ، فحياتي ما ندوزكم سمعوا ليا
 تصاحوا قدامي٠

و بداوا بالتسرسير حتى فاقوا اجميع امالين الدار + احكيت لهم ما صار + كاتبوا
فقسامي قصة للي يقرا + كيفهموني ناس الذوق و المعاني لكبار[26].

Ébahi, je suis cet échange !
C’était les amis, un spectacle étrange !
J’intervenais en bon médiateur.
En renvoyant à chacun l’ascenseur.
Les malentendus se sont dissipés :

Vous êtes tous deux, leur dis-je, typés,
Car je ne pourrai de vous deux me passer
Ecoutez-moi, cessez de vous froisser
Et réconciliez-vous-en ma présence
Ils se mirent à sonner avec outrance,
Réveillant ainsi toute l’assistance
A qui j’ai narré la scène avec substance![27]

Cet esprit créatif est évidemment le fruit d’une formation socio-poétique singulière que beaucoup de poètes suivront dans les poèmes à caractère mystique et profane. Le fabuleux revêt donc une place considérable dans le Melhoun, car il permet au chantre de faire passer, sous une forme ludique, un message ou une idée abstraite qu’il concrétise à travers des analogies culturellement intelligibles. Cet échange avec les objets personnifiés est visible encore plus dans le poème « La bougie/ Chamaâ »[28] de Mohammed Cherif Benali[29]. Elément symbolique par excellence, la bougie est le miroir du poète, son double, son porte-parole et son interlocuteur :
       
Par Dieu, chandelle, je t’ai questionné, réponds-moi!
لله يا الشمعة سلتك ردي لي سئالي
Tant que tu brilles, pourquoi pleurer par ce froid?
اشبيك فالليالي تبكي مادا لكى شعيلا
Pourquoi chandelle, gémir tout au long de la nuit?
علاش يا الشمعة تبكي ما طالت الليالي
Tes sanglots finiront par déborder des puits!
وش بيك يالي تتهيء لبكاك فكل ليلا
Pourquoi passes-tu tes nuits à te lamenter?
علاش كتساهر داجك ما ساهر ونجالي
[...]
Et enfin ! Après silence parole vit
بلسان حالها قالت لياما اخفاك حالي
M’évitant ainsi de faire appel à devin ?  
[...]
Souviens-toi de moi, Oh! Saint homme érudit,
دكرني يا حبر اللغا بشعارك  ليا يحدتو بخبارك
Je chanterai tes vers venus du paradis,
يدريه من يكون سوايا وسواك ناري نحكيها كمن عشور فنارك
Et lorsque j’aurai de tes nouvelles, ma foi.
وسراري تجي لسرارك قصا من القصايص عشقك وهواك
L’insensible à ta grâce restera coi.
.فاش يجيبو يلا يقلبو دينارك

Dans cet extrait, la symbolique de la bougie n’est visiblement pas féminine comme c’est le cas dans la plupart des représentations poétiques, surtout occidentales – rappelons-nous de Ronsard – mais elle constitue une part du poète, le miroir de son âme. Cet esprit créatif est le fruit d’une formation socio-poétique singulière qu’un nombre considérable de bardes tentera de suivre dans les poèmes à caractère mystique et profane. Le fabuleux revêt donc une place considérable dans le Melhoun car il permet au chantre de faire passer, sous une forme ludique, un message ou une idée abstraite qu’il concrétise à travers des analogies culturellement intelligibles.

Conclusion

Nous en arrivons au fait que la notion « d’analphabétisme » que l’on prête à toute personne n’ayant pas suivi une formation académique, est à revoir. Ayant eu pour corpus des poèmes populaires marocains, nous avons remarqué que le chantre du Melhoun se cultivait différemment en passant par une formation spécifique qui lui permet de faire actuellement partie des grands poètes. Apprenant d’une « Université Populaire », il y a acquis son savoir et son inspiration, éléments nécessaires pour que poéticité ait lieu. En effet, don, inspiration et culture, lui offrent la capacité d’utiliser des représentations imagées à l’aide d’une langue populaire différente de la langue commune, ce qui place le Melhoun dans une catégorie singulière où la notion de « non lettré » n’est point importante dans le sens où les images poétiques, les rythmes et les messages véhiculés dans chaque poème sont aussi interpellants et parlants que la poésie académique qui obéit à des règles aussi bien formelles que thématiques.

Bibliographie

  • Abu Rub, M. (1990). La poésie galante andalouse du XIe siècle : Typologie. Paris :Asfar.
  • Aubin, E. (2004). Le Maroc dans la tourmente il y a cent ans. Paris: Ediff.
  • Ben Rochd, E. (2008). Douze siècles de Soufisme au Maroc. Casablanca : Dechra.
  • Bosworth,E. (1989). Encyclopédie de l’Islam. Paris : Maisonneuve et Larose.
  • Boukouss, A. (1995). Société, langues et cultures au Maroc. Rabat : Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Rabat n°8.
  • Chebel, M.(1995). Dictionnaire des symboles musulmans. Paris. Albin Michel.
  • Chottin, A. (1940). Le tableau de la Musique marocaine. Paris. Geuthner.
  • El Fadssi,M.(1987). Maâlmat Al Melhoun. Rabat. Akadimiyat Al Mamlaka Al Maghribiya.
  • El Jirari, A, (1970). Al qasida. Rabat. Maktabat Attalib.
  • Guessous, F. (2008). Anthologie de la poésie du Melhoun marocain : Douze siècles de la vie d’un royaume. Casablanca. Akadimiyat Al Mamlaka Al Maghribia.
  • Guessous, F. (2013). Le cerbère dans l’imaginaire Marocain. Casablanca. Akadimiyat Al Mamlaka Al Maghribia.
  • Guessous, F. (2009). Le Melhoun marocain dans la langue de Molière : VIII tomes. Casablanca, Publiday-Multidia.
  • Pellat, C. (1970). Langue et littérature arabe. Paris. Armand Colin.
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  • Tahar, A. (1975). La poésie populaire algérienne : Rythmes mètres et formes. Alger, Société Nationale d’Edition et de diffusion : Publications de la bibliothèque nationale.

Notes

[1] - Le terme renvoie à la notion de « grand poète », une personne dotée du don de dire, qu’elle soit lettrée ou pas.
[2] - Guessous, F. (2008). Anthologie de la poésie du Melhoun marocain : Douze siècles de la vie d’un royaume. Casablanca. Akadimiyat Al Mamlaka Al Maghribia.
[3] - Par le choix de ce terme, nous voulons démontrer que la langue du Melhoun amalgame l’arabe classique et le parler marocain de l’époque pour en faire un langage poétique.
[4] - Ibn Khaldun Abou Zeïd Abdelrahman Ibn Mohammed Al Hadrami est né le 27 mai 1332 à Tunis et mort le 17 mars 1406 au Caire. C’était un historien, économiste, géographe, démographe, précurseur de la sociologie et homme d'État d'origine arabe.
[5] - L’ancêtre du Melhoun serait ârud al balad (métrique locale). Ces rimes des villes apparaissent tout abord en Espagne avant de se propager en Afrique, notamment au Maghréb. Ârud al balad est selon Ibn Khaldun une poésie strophique dérivée du mouwacchah (terme arabe qui désigne un poème à structure libre, en arabe ou en hébreu. Son origine date de la fin du VIII siècle en Andalousie musulmane. Les mouachahats au pluriel ont pour thématiques l’amour ou le vin). De ce fait, le terme Melhoun n’apparaît pas dans son œuvre mais les spécificités qui sont données à ce genre poétique se rapprochent déjà du Melhoun tel que nous le connaissons aujourd’hui.
[6]- Ibn Khaldun. A (1997). Al Muqaddima, Discours sur l'histoire universelle, traduit de l’arabe par Vincent Monteil, Paris, Sindbad, coll. « Thesaurus, Actes Sud ». p : 532.
[7] - Abbas Jirari est né à Rabat en 1937. C’est un homme politique homme de lettres marocain qui a également été conseiller du Roi Hassan II.
[8]- El Jirari, A, (1970). Al Qasida. Rabat, Maktabat Attalib. p: 108.
[9]- Ibid.
[10]- El Fassi, M. (1987). Maâlmat Al Melhoun : T III. Rabat. p: 8-9.
[11] - Terme connu au pluriel : les mu'allaqât (poèmes suspendus), constituent la plus célèbre des anthologies de la poésie pré-islamique. Elles ont une place importante dans la littérature arabe.
[12]- Guessous, F. Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit : pp.23-25.
[13] - Né à Fès en 1908 et décédé  à Rabat le 21 décembre 1991, El Fassi est un homme d'État marocain ; il a été ministre de l'Éducation Nationale et des Beaux-Arts au Maroc sous le Gouvernement Bekkay Ben M'barek Lahbil (1955-1958), ainsi que Ministre de la Culture en 1970. Il a aussi été recteur de l'Université Quaraouiyine de Fès, puis de l'Université Mohammed V de Rabat. Plus encore, il fût directeur du bureau local de l'UNESCO à Rabat et Président du Conseil Exécutif de l'UNESCO. Il a également été Professeur au Collège Royal où il a enseigné l'Histoire aux princes et aux princesses de l’époque.
[14]- Guessous, F. Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit : pp : 208-211.
[15]-Driss Ben Ali est aussi connu sous le nom de Driss El Hanch. Il a vécu à Fès sous le règne du Sultan Moulay Abdelaziz (1894–1908) et possède à son actif de très belles et nombreux poèmes dont les thèmes sont  variés, il a aussi bien chanté Dieu, le Prophète, le saints que la femme et l’amour. Sa qasida, « El kas (Le verre) » demeure une de ses plus belles œuvres, mais « Ghita » et « Fatma » sont les plus connues  du public.
[16] - Guessous, F. Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit : 438-439.
[17] - Benali Mesfioui est né à Fès sous le règne de Moulay Hassan 1er (1873-1894). Il a montré un très grand intérêt pour le Melhoun dès son jeune âge. Au retour du pèlerinage dans les lieux saints, il s’arrêta en Turquie où il s’enrôla dans l’armée turque. A son retour au Maroc, au déclenchement de la première guerre mondiale il fut arrêté et emprisonné pendant plus de quatre ans par les autorités du protectorat. Il décida par la suite de s’installer à Salé.
[18] - Le tfaya ou tfaia est une préparation culinaire marocaine réalisé à base d'oignons et de raisins secs noirs auxquels s'ajoutent d'autres ingrédients sucrés comme le miel et la cannelle moulue. Il est souvent rajouté au couscous et aux tagines.
[19] - La seffa est un plat marocain et algérien à base de semoule, de sucre, de cannelle et d’amandes. Au Maroc, il peut aussi être fait avec du riz ou des vermicelles. Ce plat se mange généralement en fin de repas avant le dessert. Il est souvent servi pendant les cérémonies traditionnelles de mariage et les repas de famille.
[20]- Guessous, F. Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit : 438-439.
[21]- Belakbir. A (2010).  Chîr Al Melhoun, Addahira Wa Dalalatouha. Première Partie. Marrakech. Sebou : p.259.
[22]- Ibid.
[23]- Contemporain et originaire de Marrakech, Moulay Smail vit à Safi où il travaillait dans un office. Ses œuvres sont très appréciées du public et ses thèmes préférés sont la satire, où dans de nombreux poèmes, il dépeint la société avec beaucoup d’humour.
[24] - El Melhouni.A, (2010). Association Jilali Mtired [en ligne] présidée par Abderrahamane El Melhouni, Marrakech. Disponible sur .
[25]- Guessous, F. (2009). Le Melhoun marocain dans la langue de Molière : T.VII-VIII. Casablanca, Publiday-Multidia.  pp. 31-33.
[26] - El Melhouni. A. Association Jilali Mtired [en ligne], Op.cit.
[27] - Guessous, F. Le Melhoun marocain dans la langue de Molière. Op.cit.
[28]- Guessous, F. Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit : pp. 306, 314.
[29] - Mohamed Cherif Benali, dit Ould Rzine a vécu à Fès sous le règne de quatre sultans, Moulay Abdallah (1729-1757), Sidi Mohamed Ben Abdellah (1754-1790), Moulay Lyazid (1790-1792) et Moulay Slimane (1792-1822). Originaire du Tafilalet, il reste l’un des plus talentueux poètes du Melhoun et une grande partie de son œuvre est toujours chantée en de nombreuses circonstances.

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