Hors série n°1 / Genres et pratiques dans le monde arabe et méditerranéen

Rôle des femmes : entre représentations d’une langue régionale et revitalisation d’une culture montagnarde

Sakina Amourak

Résumé

L’arabe marocain montagnard, comme l’un des parlers de la zone dialectale occidentale du monde arabe, mérite une étude profonde ralliant transdisciplinarité et pluridisciplinarité pour mettre en évidence les spécificités géolinguistiques, sociolinguistiques et culturelles de cet espace du nord du Maroc. Ce type d’approches peut se réaliser par la possibilité d’interroger les rapports de genre et de sexe dans les pratiques discursives orales des individus et groupes dans cette zone géographique. Cela pourrait enrichir les constats et conclusions des recherches qui se sont intéressées à cette langue orale minorée et aux pratiques de ses locuteurs pour en construire une représentation, incluant les phénomènes de stéréotypages, de représentations identitaires et d’appartenance à l’espace, notamment régional (voir les travaux de Messaoudi, Vicente, Lachkar cités dans cette étude). Ces recherches psycho-socio-linguistiques rendent compte des particularités des locuteurs jeblis au sein de leur environnement social, en corrélant leurs manières de parler avec des variables sociales (sexe, âge, attitudes, circonstance de la communication…). Cette étude se focalisera donc sur le rôle crucial d’une variable sociolinguistique : le genre jebli, notamment le féminin, incluant le rapport homme/femme dans cette zone.

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Introduction

Le paysage sociolinguistique marocain se caractérise par sa diversité et sa variation linguistiques. Entre langues locales, régionales et nationales, cette zone du monde arabe se distingue aussi par son bilinguisme et son plurilinguisme historiques dominés par la présence du français, de l’anglais et de l’espagnol faisant référence à la période coloniale et postcoloniale (Lachkar, 2014b, 2017& 2021a et b).  A vrai dire, l’arabe marocain montagnard, ou jebli, s’étend sur un vaste territoire dont les frontières territoriales débutent au nord de la ville de Fès, en passant par les villes de Taounate, Ouezzane, Chaouane, Larache jusqu’à la région de Tanger et Tétouan (Lachkar 2008 & 2014a, Vicente 2017). Ce parler de la zone dialectale occidentale du monde arabe, mérite une étude approfondie dans un cadre transdisciplinaire et pluridisciplinaire, et ce dans la perspective de mettre en évidence les spécificités géolinguistiques, sociolinguistiques et culturelles de cet espace du nord du Maroc. Une telle entreprise peut se réaliser par le questionnement des rapports de genres et de sexes dans les pratiques discursives orales individuelles et collectives des Jeblis et de leurs traces culturelles ou patrimoniales dans cette zone géographique. Ce qui pourrait enrichir les constats et conclusions des recherches qui se sont intéressées à cette langue orale et aux pratiques culturelles de ses locuteurs pour en construire une représentation, incluant les phénomènes de stéréotypages, de représentations identitaires et d’appartenance à l’espace, notamment régional (Messaoudi 1996, 2000 & 2003, Vicente 1998 & 2002, Lachkar 2007, 2008, 2011& 2013). Ces recherches psycho-socio-géolinguistiques rendent compte des particularités des locuteurs de cette zone au sein de leur environnement social, en corrélant leurs manières de parler avec des variables sociales (sexe, âge, attitudes, circonstance de la communication…). Cette étude se focalisera donc sur le rôle crucial d’une variable sociolinguistique : le genre jebli, notamment le féminin, incluant le rapport homme/femme dans cette zone.

En effet, une société a besoin de tout son potentiel matériel et immatériel, notamment humain pour se développer. La femme demeure un élément important et une valeur ajoutée dans le processus de développement de la société, notamment montagnarde, dont il faut rendre compte ici. Car la femme jeblie, vu les difficultés géographiques, climatiques et socio-culturelles qu’elle subit, se présente comme une personne militante qui mène des combats quotidiens, à l’intérieur comme à l’extérieur de son cadre de vie, pour garantir sa survie et celle de sa famille. On peut avancer ainsi qu’elle était et est toujours conservatrice du patrimoine, de la culture et des traditions de son espace, appelé territoire de Jbâla.

L’identité ethnosocioculturelle montagnarde : entre Histoire, culture et société 

Les femmes rurales, dans cette région du Maroc, par les tâches qu’elles effectuent au quotidien, participent au développement durable, ce qui montre, d’abord, leur capacité de préserver l’environnement local et ses ressources naturelles et écologiques, puis leur rôle fondamental dans la régulation de la consommation de ces ressources. Ces individus se distinguent nettement des femmes des régions limitrophes par leur aspect physique et vestimentaire qui renvoie à un champ lexico-sémantique important, varié et riche lexicalement, associant richesse lexicale au transfert du sens et de la culture et des traditions de la communauté linguistique en question. En effet, la femme, dans cette zone, couvre sa tête avec un chapeau de paille appelé "šašiya" ou "taraza" (= grand chapeau de palmier nain tressé, orné d’épais cordons de laine et souvent de pompons multicolores). Pour son travail agricole, elle revêt une "tbānta"(e) (=peau de vache que la femme met sur sa poitrine pour se protéger des épines). Elle porte, également, autour de sa taille une "kurziya" ou "lәḥzām" (=énorme ceinture de laine, teintée de couleurs et de motifs qui varient d’une tribu à une autre). Elle la noue sur son "ƫamīr" ou "manṣuriya" (= pyjama ou robe qui couvre, par sa longueur, tout son corps jusqu’au genou). Elle porte, également, un "mәndil" ou "әl-foṭa" (= étoffe de laine et de coton nouée autour de sa taille, par-dessus la ceinture, et descendant jusqu’aux mollets, comme un tablier ou un pagne) ; on l’appelle aussi "әl-mәndil d-әš-šad" parce qu’il lui permet de "đš-šad" (= serrer un enfant sur son dos, ou de porter une "ḥumla" (= charge ou fardeau), surtout quand elle revient du marché. Parfois, elle pose sur sa tête un "gәdwār" (= voile de laine pour couvrir sa tête et ses épaules).  Au cours des exercices agricoles, elle se sert aussi de "әṭ-ṭrābaq (= molletières en peaux de moutons ou de chèvres qui enveloppent ses mollets pour la protéger des épines)[1].

Avec cette tenue quotidienne et particulière, qui demeure conforme à sa culture et à ses traditions ancestrales, la femme jeblie (ou jebliya) assume les tâches ménagères et les travaux agricoles difficiles. Elle travaille, généralement, avec ses mains, vu la rareté des matériaux et outillages spécialisés mis à sa disposition. Ce qui lui permet de déconstruire les représentations et de remettre en question les stéréotypes en vigueur dans les pays arabo-musulmans, insinuant que le labour est, par excellence, une tâche de masculine. Or, au pays de Jbâla, la femme est l’égale de l’homme, elle exécute les mêmes besognes que lui, elle participe à la production agricole et alimentaire locale. Elle maîtrise toute la tradition agricole puisqu’elle connaît parfaitement son organisation et son rythme avec ses périodes agraires, ses moments de cueillette et les instruments indispensables à sa réalisation[2]. Cela fait des femmes rurales et montagnardes arabes des actrices à part entière de la chaîne de valorisation des domaines culturel et agricole, ce qui a des retombées directes sur le tissu socio-économique local et participe à son développement durable, notamment écologique. En parallèle, il s’avère que dans un espace marqué par sa diversité socio-linguistique, notamment dialectale, et son contact de langues, un patrimoine oral et un parler régional minorés continuent de survivre, dans cette zone du nord du Maroc, grâce surtout aux femmes. Ce sont elles qui préservent encore les traits les plus importants, pour qu’on puisse conséquemment parler, cette fois-ci, d’une écologie linguistique ou d’une écolinguistique contextualisée (Lachkar 2013). Par conséquent, leur mission de conservatrices de leur langue, de leur culture et de leurs traditions détermine leur appartenance à l’espace de par ses aspects ethniques, identitaire et géographique.

Par ailleurs, les récits historiques et littéraires oraux décrivent la femme dans la région de Jbala comme un modèle de femme combattante. Elle est présente dans plusieurs luttes et sur plusieurs niveaux pour le développement de son environnement, tout en assumant sa responsabilité de femme dans sa famille et d’actrice sociale dans la société. En plus de son rôle biologique de procréation et de sa mission d’éducatrice des enfants, la femme jeblie assume les tâches ménagères et participe, avec son mari, aux travaux agricoles dont elles maîtrisent une grande partie des techniques. Ces tâches valent autant que celles de l’homme et parfois même plus, vu la multiplicité de ses fonctions. Pendant les périodes de plantation et de moisson, elle accomplit des travaux à la forêt et dans les champs. Elle sort de chez elle très tôt le matin pour cueillir divers produits agricoles (céréales, fruits, légumes, blé, cannabis, etc.) et amener les bêtes au pâturage. La femme jeblie constitue le symbole de la patience et de la persévérance par rapport aux autres femmes marocaines. Elle a participé, à son niveau et avec ses propres moyens, à la guerre de libération de sa région des forces coloniales, en aidant au ravitaillement des rebelles et des insurgés retirés dans les sommets des montagnes. Elle transportait des paniers remplis d’olives noires, de figues sèches, de raisins secs et de galettes de pains d’orge et de maïs. Dans un des enregistrements de notre enquête de terrain réalisée en 2019, il nous a même été raconté que certaines femmes avaient dissimulé et transporté des armes dans leurs "qatta" (= bottes de branches d’arbres que les femmes portent sur leurs dos et qui servent à nourrir le bétail). La femme jeblie doit faire face à l’âpreté de la vie et à celle de la nature. Certaines femmes interrogées, nous ont appris que des femmes enceintes étaient parties le matin conduisant leurs troupeaux au pâturage, et qu’elles étaient rentrées le soir à la maison avec un nouveau-né dans les bras ; autrement dit, elles avaient accouché seules dans la nature.

Le jour de son mariage, la mariée se transporte sur un mulet, accompagnée de l’un de ses frères et est enveloppée dans une "djellaba" masculine, symbole d’honneur et de bravoure. Ce jour-là, la jeune mariée pleure sur un air attendrissant ; ses larmes ne sont pas des larmes de tristesse mais constituent la marque de son passage d’une étape à une autre, le passage d’une fille insouciante à l’étape de l’âge adulte, de l’insouciance à l’âge de la responsabilité dans tous les domaines de la vie active. Elle doit montrer qu’elle est en mesure à participer à la vie socioéconomique de sa famille et de son environnement. La femme au territoire de Jbala maîtrise le sens de l’économie participative et coopérative : lorsque les femmes veulent cuire leurs pains, elles cotisent en apportant chacune des branches au four pour attiser le feu. Pour la cuisson du pain, une femme de la famille est chargée de cette opération pénible, elle s’occupe elle-même de ramener l’eau des puits qu’on partage, la plupart du temps, entre plusieurs ménages. La femme jeblie est artiste par nature : de l’argile[3], elle façonne des œuvres d’art, de la laine elle tisse[4] des couvertures et des tapis d’une grande valeur. Sans oublier la préparation manuelle des olives[5] avec toutes leurs variétés et typologies[6], le petit lait et le beurre "bәldi" ou bio, etc.

L’histoire aborde aussi le rôle politique et stratégique de la femme jeblie dans sa société ; on cite souvent le cas de "Sayyida al-Hurra"[7] (= la Dame libre) comme femme célèbre dans l’histoire du nord du Maroc, et qui fut à une certaine époque du XVIème siècle la régente du nord du Maroc. Cette Dame cultivée et aguerrie maitrisait la situation géopolitique du bassin méditerranéen, ce qui lui a permis de défier la colonisation espagnole et portugaise[8]. Elle a ainsi régné sur un Etat et a gouverné pour des années la ville de Tétouan et tout le nord-ouest du Maroc. Même si l’histoire officielle du pays a effacé ses traces, al-sayyida al-Hurra est considérée par les historiens, notamment les historiens andalous et espagnols comme la première cheffe de la piraterie sans équivoque dans la région[9].  Ainsi, l’historien Mohammed Daoud dans son ouvrage Histoire de Tétouane précise qu’al-Hurra s’appelait « Aicha fille de Al-chaykh Ali Ben Moussa Ben Rachid, de lignage Al-chaykh Abdeslam Belmchich »[10]. Vu l’excellent prestige, la position noble et le poids exceptionnel de sa famille dans les tribus de Jbâla aux nord du Maroc[11], se marier avec cette dame al-Hurra constituait une grande entreprise et un projet convoité par les détenteurs de pouvoir au pays : « parmi les choses les plus importantes qui concernent la Dame libre, c’est l’histoire de son mariage avec le sultan marocain de Fès Ahmed Al-Wattassi en 1541 »[12].

Mais, après des complots internes, al-sayyida al-Hurra a préféré se retirer de la scène politique et se consacrer au fait religieux pour lutter contre les mauvaises interprétations des textes religieux de l’islam[13]. C’est pour cette raison qu’elle a fondé des confréries ou "Zaouiyât" dans lesquelles les adeptes et les fidèles glorifiaient le créateur de l’univers et de ses prophètes dans des cantiques et des chants qu’on entend souvent de nos jours. 

En réalité, cette présence de al-sayyida al-Hurra demeure éternelle dans la mémoire collective des Jbâlas ; son influence sur la nature de la femme du nord du Maroc se remarque clairement sur plusieurs dimensions qu’elle a bien symbolisées : (1) le mouvement de lutte et de militantisme, (2) les prises de position au niveau politique souvent réservées aux hommes, (3) les traces de la vraie civilisation andalouse, (4) le mouvement soufi qu’elle a laissé dans cette région ainsi que (5) et enfin la bonne conduite du foyer et le partage du travail avec l’homme, notamment le remplacement de celui-ci dans les tâches masculines, caractéristiques distinctives de la femme jeblie d’aujourd’hui.

Écologie linguistique et particularités contextuelles du domaine jebli

Dans l’espace jebli et son périmètre géolinguistique, on distingue entre deux sortes d’influence que Louis-Jean Calvet (2016) qualifie d’influences extérieures ou intérieures sur la langue, c’est-à-dire d’une part l’interférence étatique à travers différentes autorités politiques, religieuses ou publiques et d’autre part le rôle crucial et non négligeable des locuteurs envers leurs langues. La première intervention est dite politique in vitro, tandis que pour la seconde on parle de politique in vivo, de part l’intervention humaine dans l’évolution, la survie ou la disparition d’une langue, d’un dialecte ou d’une variété dialectale (Calvet 2016 & 2017). Dans cette deuxième catégorie, la langue de Jbala, langue régionale minorée, manifeste son existence dans et par les pratiques socio-langagières quotidiennes de ses locuteurs, notamment celles des femmes.

Par ailleurs, au même titre que Vicente (2017), cette étude peut confirmer la perspective linguistique avancée par Colin (1945) en ce qui concerne les différences entre les parlers de la région de Jbala ; les variétés septentrionales du jebli[14] sont plus anciennes et conservent davantage les principaux traits du parler jebli (d’origine andalouse) par rapport aux autres variétés plus méridionales qui sont moins anciennes à cause de l’installation plus tardive de la population dans cette partie de la région. Cette population aurait été arabisée plus tard que les populations qui habitaient le nord, de telle façon que la variété arabe parlée avait déjà évolué[15]. Lévi-Provençal souligne, à travers son enquête menée en 1918 dans les tribus de Slès, Fichtala, Beni Ouriâgel[16], ainsi que celle menée en parallèle que la sienne en 1917-18 par Colin au nord de la région de Taza, dans la tribu de Brânes, que la variété arabe dans cette région de Jbâla subit beaucoup plus d’influences berbères par opposition au sud de cette région où les influences berbères s’avèrent majoritairement affaiblies à cause des apports du parler aroubi (Lévi-Provençal 1922 : 18) et du aroubi mélangé au mdini provenant de la ville de Fès (Lachkar 2008).

Cette variation linguistique est due aux influences diachroniques mais nous pouvons définir entre locuteurs du parler arabe jebli une autre variation sociolinguistique cette fois-ci synchronique. En réalité, l’usage social de la langue au sein de la communauté de Jbâla rappelle deux variables importantes : le sexe et l’âge. D’après notre propre enquête sur le terrain (2019) ainsi que d’autres enquêtes antérieures comme celle de Vicente à Anjra effectuée en 1995 mais dont les résultats ont été publiés en 1996, 1998, 1999, 2000, 2002 & 2014, la femme jeblie âgée rassemble les deux variables, étant ainsi conservatrice de la totalité des traits caractérisant le parler jebli. C’est elle qui maintient l’originalité de ce patrimoine oral. Pour une variation genrée, les femmes, dans ce contexte, sont réputées par des productions langagières aussi préservées que celles des hommes. Dans cette même perspective, Natividad (1998), d’après son enquête menée à Chefchaouen en 1992 & 1993, a souligné que « les femmes âgées constituent une source d’information idéale car les hommes ont souvent un parler déjà influencé par d’autres dialectes »[17]. Messaoudi (2003), de son côté, affirme que les femmes sont des « gardiennes des traditions, elles sont le plus souvent les relais privilégiés pour la transmission des "bonnes manières" et des façons de parler qui les accompagnent. Ce n’est pas seulement le souci de la "bonne éducation" qui motive ce "conservatisme linguistique féminin", c’est aussi la volonté de se défendre face à la prédominance masculine et de se préserver d’éventuelles critiques touchant à leur comportement ou à leurs manières »[18].  

Néanmoins, il est important de souligner les caractéristiques sociologiques, surtout au milieu rural, de cette société de Jbâla. La femme âgée n’y quitte presque jamais son foyer, même en partageant le travail agricole avec l’homme, ses fréquentations demeurent limitées, rarement étrangères, elle ne s’éloigne pas du champ, du douar ou de son village natal à la montagne. Dans ce sens, Labov (1990) parle plutôt d’« insécurité linguistique » des femmes d’après l’enquête qu’il a menée en 1966 sur la stratification sociale de l’anglais à New York City[19] et dans son article de 1990[20], dans lequel il observe « un dysfonctionnement complet du comportement linguistique » entre hommes et femmes, une tendance au conformisme aussi apparente chez les femmes qui résulte d’une différence de pouvoir et de statut entre les genres et les sexes. Il confirme que « les changements d’occupation et de mode de vie des femmes n'entraînent pas de changements immédiats dans leurs comportement linguistique »[21].  La variante linguistique chez le féminin demeure un choix, la femme jeblie paraît plus attachée aux normes et traits discriminants standards et originaux du parler jebli. Autrement dit, c’est ce qui est expliqué inversement cette fois-ci par Labov, lorsqu’il décrit le comportement masculin : « Dans une stratification sociolinguistique stable, les hommes utilisent plus fréquemment que les femmes des formes linguistiques non standard »[22].    

Dans le territoire de Jbâla, le nivellement linguistique se manifeste au sein de l’idiome utilisé par les hommes plutôt que par celui des femmes, ce qui s’explique essentiellement par cette ségrégation genrée plus forte dans la région de Jbâla que dans d’autres zones linguistiques du Maroc. Les hommes se déplacent fréquemment et quittent leur espace rural vers les zones urbaines les plus proches[23] (Vicente 2017, pp : 42-43). Ainsi, les enfants et les jeunes, d’aujourd’hui, demeurent les plus concernés par les effets de modifications intra et extralinguistiques[24]. Cela sans oublier le rôle formateur des femmes dans la transmission à leurs enfants d’une plus grande sensibilité aux normes de la variété standard en vigueur[25].

Tableau 1. Les informateurs par tranches d’âge

 

Catégories d’âges

Genre

Hommes

Femmes

16-26

30

45

26-40

25

50

40-60

45

50

60-80+

30

72

 

Total

 

130

217

 

347

 

Figure 1. Les informateurs par tranches d’âge


La palatalisation de /a/ ou الإمالة "al-’imāla"

La palatalisation représente le changement ou l’évolution du lieu d’articulation d’une consonne dite palatale sous l’influence d’une voyelle précédente ou suivante. En l’occurrence, la dernière syllabe d’un morphème peut être touchée par ce phénomène de palatalisation ou la ’imāla, défini par les grammairiens arabes comme étant l’inclinaison d’une voyelle ouverte /a/ (fatḥa) vers une certaine fermeture qui peut être partielle (suġra) /e/ ou totale (kubra) /i/. La raison de cette utilisation de la ’imāla est, avant tout, d’atténuer et de faciliter la prononciation, surtout au moment de la lecture coranique[26].

Dans la région de Jbâla, la ’imāla évoque un héritage linguistique andalou et renvoie au rapprochement linguistique entre le Maghreb et le Mashreq. L’arrivée de l’arabe andalou a été considérée comme la deuxième vague d’arabisation de toute la région septentrionale du Maroc[27]. Cet usage linguistique existe, encore aujourd’hui, comme trait discriminant de l’arabe des Jbâlas du nord du Maroc. Il marque leur idiome dans différentes zones, surtout les plus rurales. Néanmoins, il demeure opportun de signaler que l’emploi de ce phénomène linguistique tend à prendre une particularité féminine, une caractéristique du parler jebli adoptée et conservée par ses locutrices jeblies. En effet, durant notre séjour dans cette région (en 2019), nous avons été étonnée de la présence de tous les traits caractéristiques du parler jebli dans les pratiques langagières et discursives des femmes âgées, comme la "’imāla"[28] qui se veut, aussi bien, moins une caractéristique du parler des hommes au profit de celui des femmes. Vicente (2017), à travers son enquête menée dans la tribu d’Anjra, avance qu’« auparavant les hommes prononçaient aussi la ’imāla qui est devenue un trait féminin après l’influence d’autres variétés sur les parlers masculins »[29]. En plus du substrat berbère, le parler jebli connaît une conservation de quelques traits caractéristiques de l’arabe andalou ou de l’arabe espagnol, soulignés par exemple dans le parler de Chaouane (Moscoso, 2002) et celui d’Anjra (Vicente, 2000). Cette influence est attestée dans d’autres régions du Maroc, de plus en plus, moins marquante. Des réalisations phonétiques rappelant le substrat andalou, telle que la palatalisation de /a/ avec des degrés de fermeture prononcés en /ә/, /e/ ou bien /i/. Ce degré de fermeture dans le parler jebli nous rappelle aussi une certaine fermeture vocalique finale réalisée dans le standard arabe mashréquin, notamment libanais. La ’imāla de /a/ s’avère un trait distinctif de l’arabe dialectal libanais et des autres dialectes voisins comme le syrien et le palestinien. On cite entre autres : "ken"=il était, "istez"=professeur, "šǝbbek"=fenêtre, etc.

De son côté, Guerrero (2016) présente, dans son étude comparative des différentes variétés rurales de l’arabe maghrébin, des exemples qui ont été constatés dans les parlers villageois tunisiens, le parler de la Kabylie orientale et dans une moindre mesure le parler des Jbâlas du Maroc[30]. Ainsi, il cite les exemples suivants : bda>bde "il commença" (Marçais et Guîga 1925 : 67), nsa>nse "femmes" (W.Marçais 1950 :211), teqliha>teqlēha, "elle la fait frire", mdīna>mdīnæ "ville", nʕăsna>nʕăsni "nous avons dormi"(Vicente 2000 :29), wāḥda> wāḥdæ "une" (Guerrero 2015 :60), (Moscosso 2004 :27), brīt>bṛēt "(que tu sois) guéri"(Ph.Marçais 1954 :573)[31]. Cette particularité linguistique qu’on a pu enregistrer, à plusieurs reprises, par des voies féminines, affecte surtout la dernière syllabe des noms propres des personnes femmes ou hommes. Pareillement, on l’a repérée au cours des discussions quotidiennes au sein de leur foyer ou encore à l’extérieur de celui-ci, aux champs, dans la forêt, au cours de leur activité authentique plus que traditionnelle, l’agriculture. Nous avons constaté que l’ensemble du lexique jebli, se terminant par une syllabe ouverte et parfois fermée, prononcée par les femmes âgées, maintient cette particule de "l’imāla", de telle manière que l’on n’arrive pas à distinguer le degré de fermeture de cette palatalisation qui affecte la voyelle /a/ à la fin du mot, elle est soit légèrement, soit partiellement, soit totalement fermée :

 

Tableau 2. Lexique jebli avec "imāla"

Mots en A.D.M. sans "imāla"

Mots en jebli (féminin) avec "imāla"

Aicha

Hamza

roumaysa

"lġāba" : forêt

"dāba" : Maintenant

"žina" : nous sommes venus

"ḥaža" : une chose

"waḥad" : un/un seul

"ɜayšә"< /e/

"ḥamzә"

"rumaysә"

"lġābә"

"dābә"

"žinә"

"ḥažә"

"waḥәd"

 

Le diminutif des noms et des adjectifs

La communauté linguistique des Jbâlas, notamment les femmes et les enfants, se sert des diminutifs pour qualifier une chose, un objet ou un être comme petit ou insuffisant. C’est aussi une connotation affective de ces mêmes éléments dans les pratiques socioculturelles et linguistiques. Dans notre terrain d’enquête, ce sont les femmes qui ont tendance à employer ces formes lexicales dans leur langage pour le transformer ainsi en un phénomène linguistique essentiellement féminin, ce qui risque de ne pas être le cas dans d’autres tribus et communes rurales et urbaines de la même zone d’étude (Lachkar 2013).  Cela rejoint la définition du diminutif par Dubois (2007) qui le considère comme « un nom qui se réfère à un objet considéré comme petit ou en général accompagné d’une connotation affective (hypocoristique) »[32]. Les formes diminutives sont très fréquentes, au sein du discours féminin jebli, pour décrire aussi bien les noms que les adjectifs. L’usage des diminutifs touche toutes les activités quotidiennes (agricole, culinaire, artisanale, commerciale, etc.).

La femme jeblie se sert du diminutif du nom de ses proches et des personnes qui lui sont chères, de façon à les entourer de tendresse et de sympathie. Le diminutif féminin prend des formes variées, et rares sont les règles qui régissent sa formation. C’est ce que démontrent, ici, les diminutifs des prénoms de personnes prononcés par les femmes enquêtées :

 

Tableau 3. Dimunitifs de noms propres

Noms propres

Diminutifs Jeblis

Lahcen

Rahma

Hamid

Fatima

Aicha

Salah

"ḥsinu"

"rḥimu"

"ḥmidu"

"fṭiṭəm"

"ԑwiša"

"ṣwiləḥ"


Par ailleurs, les formes les plus courantes des adjectifs et de quelques noms communs que nous avons enregistrées lors de nos divers entretiens sur le terrain des Jbâlas sont fʕīwal فعِيوَل et fʕīʕalفعِيعَال . Ces formes ont déjà été repérées par Lévi-Provençal[33] dans ses textes arabes de l’Ouargha, puis Marçais pour le parler de Tanger[34], Gaudefroy-Demom-Bynes et Mercier pour l’A.D.M[35] en général. En guise d’exemple, nous citons :

Tableau 4. Dimunitif des adjectifs

Adjectifs/ Noms communs

Diminutifs Jeblis

"sġīr" : Petit

"ṭwīl" : Long

"qlīl" : Peu

"ɜwaž" : Déformé

"xḍār" : Vert

"ḥmār" : Rouge

"qiṭ" : Un chat

"šġəl" : Un travail

 

"sġīwar"

"ṭwīwal"

"qlīlwal"

"ɜwīwaž"

"xḍiḍār"

"ḥmimār"

"qṭīwaṭ"

"šġīwal"

 

 

 D’autant plus, certains noms ou adjectifs peuvent avoir la forme diminutive comme forme originale dénominative : "šwiwəš": un peu / "stitu" : petit / "stitwa" : petite / "stitwīn" : petits / petites (avec confusion de genre). Parfois ce caractère de petitesse dit, aussi, "əṣ-ṣġīra", "əṣ-ṣġīwra" ou "ʔā…əṣ-ṣġīwra" qu’on attribue généralement à la femme et à la mère en particulier, devient la meilleure représentation linguistique révélatrice ou exprimant le degré d’amour et d’affection, dans un contexte significatif et symbolique qui caractérise surtout les chants populaires des femmes jeblies ou "ʔaԑyyuԑ". 

A vrai dire, le maintien de la culture et des traits caractéristiques de la langue demeure un choix pour les femmes jeblies, voire une volonté d’attachement à l’identité ethnolinguistique. Pour cela, et pour éclaircir le problème des représentations linguistiques dans un système écolinguistique précis, Calvet (1999) ajoute qu’« une langue peu parlée mais dont les locuteurs considèrent qu’il est important de la maintenir (pour des raisons, emblématiques, identitaires, religieuses, etc.) peut avoir une survie que le seul facteur que constitue le nombre de locuteurs ne laisse pas prévoir »[36]. De même, il est opportun de souligner que l’attitude aussi positive des femmes jeblies vis-à-vis de leur langue d’origine est une conduite consciente du maintien de la variation linguistique dans l’espace arabe marocain[37]. Néanmoins, il est aussi nécessaire de souligner l’importance de la relation entre la culture, le savoir, le savoir-faire et la langue, ce qui est illustré dans les formes lexicales en usage dans les pratiques discursives des Jbâlas. C’est dans ce domaine que ces derniers prouvent leur enracinement culturel et linguistique qui rappelle leur appartenance à une écologie linguistique enracinée dans un écosystème particulier.

Conclusion

Les rapports de genre et de sexes marquent bien les pratiques culturelles et sociolinguistiques des locuteurs jeblis dans leur contexte géolinguistique. La condition du féminin dans l’espace rural de la région de Jbâla mérite plus d’intérêt et de mise en relief de la part des chercheurs en sciences humaines et sociales. La présence des femmes continue à se manifester, brillamment, dans le type des tâches qu’elles accomplissent pour garantir une continuité à leur écosystème et conserver son authenticité. Elles jouent un rôle de premier plan dans le maintien des traditions et de la culture, autrement dit, elles sont des gardiennes de l’identité culturelle. Leur préservation du patrimoine oral passe, prioritairement, par le langage, les pratiques langagières et la conservation de l’usage des traits caractéristiques de leur langue orale tels que la palatalisation et le diminutif des noms, prénoms et adjectifs. On ajoute aussi les diphtongues et la présence du segment /ǰ/, des traits qui permettent de reconnaitre un jebli aussi bien à l’intérieur de son propre espace qu’à son extérieur au moment des déplacements et du voyage (Messaoudi, 1996 &2003).

La revitalisation des langues et des cultures locales et régionales chez les Jbâlas fait écho au droit des langues à l’existence. Elle fait aussi penser au paysage sociolinguistique marocain marqué par sa pluriglossie et son plurilinguisme ; les caractéristiques linguistiques du parler montagnard constituent, en réalité, des points de variation linguistique qui soulèvent les limites interindividuelles, collectives et spatiales permettant de distinguer aussi bien la culture que l’identité langagière et linguistique des Jbâlas des autres communautés linguistiques marocaines et arabes.

Références bibliographiques

- AGUADE, J., CRESSIER, P., VICENTE, A., 1998, Peuplement et arabisation au Maghreb Occidental. Dialectologie et Histoire, Universidad De Zaragoza, Madrid.

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Système de transcription phonétique

 

Voyelles

 

 

Notes

[1] Jacques Jawhar Vignet-Zunz cite aussi cet aspect vestimentaire de la femme montagnarde dans son ouvrage Les Jbalas du Rif, des lettrés en montagne, Casablanca : La croisée des chemins, 2014. P : 196.

[2] Jacques Jawhar Vignet-ZunZ signale, en se référant aussi à l’ouvrage de Mingote calderón (1996), que la présence de la femme à l’extérieur pour le travail agricole est une coutume qui se répand aussi dans une grande partie des régions espagnoles (Ibid, p : 240)

[3] Un excellent exemple dans la province de Chefchaouen, précisément Dcher Ferran Ali dans lequel les femmes, en plus de leur travail agricole, exercent le métier de la poterie, qui est devenu une de leurs propres spécialités et un héritage réalisé par leurs propres mains.

[4] Le tissage traditionnel est très connu dans des tribus et douars jeblis, notamment dans la zone de Taounate ; on peut en citer entre autres dcher Oulad Azem -Beni Oulid, Taounate- très connu du fait de cette activité ancestrale actuellement de plus en plus menacée d’extinction à cause de la concurrence étrangère et de l’introduction des machines dans cet espace.

[5] Le Maroc est le 5ème pays producteur et exportateur mondial d’huile d’olive. La femme, au pays de Jbala, participe, avec force et expertise, à cette production, de la préparation à la transformation des olives en huile avec ses différentes variétés qu’elle connaît avec expertise. Mais, la production d’huile d’olive dans la grande région de Jbala est peu touchée par la mise en marché nationale et/ou internationale d’autres huiles concurrentes des autres régions du Maroc comme la région Fès-Meknès, par exemple.   

[6] Comme celles que les femmes âgées de Beni Zeroual-Taounate préparent manuellement et uniquement avec le jus de citron de terroir.

[7] Fatima El Mernissi souligne que la Dame libre était d’abord une femme marocaine d’origine andalouse, elle s’était aventurée dans la piraterie afin d’oublier la chute de Grenade et l’expulsion des Andalous musulmans, avant qu’elle ne soit gouvernante sur Tetouan. Il est à noter, comme le confirme El Mernissi, qu’il existe un manque de références relatant le parcours de cette personnalité féminine, car les historiens musulmans ont préféré garder le silence sur sa personnalité historique de femme de pouvoir. Les références concernant la Dame libre sont tellement limitées que les chercheurs ont recours, parfois, aux documents historiques espagnols et portugais.  (Fatima El Mernissi, 2000, Monarchies oubliées, centre culturel arabe, pp. 36-39). 

Pour élaborer cette recherche, nous avons aussi visionné un feuilleton intitulé "Sayyida al-Hurra", diffusé par la chaine marocaine al-Oula. Ces épisodes retracent, plus ou moins, les événements mémorables gravés dans l’histoire méditerranéenne par une femme d’Afrique du Nord et du nord du Maroc.         

[8] Ibid.

[9] Abdelkader Alafia, 1989, Amirat Al-jabal Al-Hurra Bint Ali Ben Rachid, librairie Al-nour, Tetouan, p .18.

[10] Mohammed Daoud, 1959, Histoire de Tétouan, Tome 1, Maahad Moulay Al Hassan, Tetouan. Pp :117-123.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Une vertu qui sera héritée par la femme jeblie réputée par sa ponctualité avec laquelle elle s’acquitte de ses devoirs religieux.

[14] Les variétés septentrionales sont parlées par les populations habitant entre le détroit de Gibraltar et l’Ouest de Ouezzane tandis que les variétés méridionales sont en usage entre Ouezzane et Taza (Colin 1945, 226-229).

[15] Ángeles Vicente, Dominique Caubet, Amina Naciri-Azzouz., 2017, La région du Nord-Ouest marocain : Parlers et pratiques sociales et culturelles., Pensas de Universidad de Zaragoza, p : 31.

[16] Les textes recueillis par Lévis-Provençal, lui ont été dictés par des locuteurs jeblis de Beni Zeroual, la confédération qui était encore dissidente et non soumise au contrôle politique et administratif du cercle de l’Ouargha, dépendant de la région de Fès. Il s’agit ici d’informateurs jeblis fréquentant la zone soumise au protectorat français. 

[17] Emma Natividad, 1998, « Le dialecte de Chefchaouen », in Peuplement et arabisation du Maghreb Occidental. Dialectologie et histoire, Actes réunis et préparé par Jordi Aguadé, Patrice Cressier et Ángeles Vicente, Universidad de Zaragoza, Madrid, P : 109.

[18] Leila Messaoudi, 2003, Etudes sociolinguistiques, Université Ibn Tofail, Kénitra, OKAD, P. 14. 

[19] W. Labov, 1966. « The Social Stratification of English in New York City ».

[20] W. Labov, 1990. « The Intersection of sex and Social Class in the Course of Linguistic Change ».

[21] W. Labov, 1998. « Vers une réévaluation de l’insécurité linguistique des femmes », In- Les femmes et la langue, l’insécurité linguistique en question. Paris, Delachaux et Niestlé, p : 29.

[22] W. Labov, 1990.

[23] Á. Vicente, 2017, op, cit, p :42-43.

[24] On souligne le rôle de la scolarisation, vu le manque d’établissements dans le milieu rural, dans un monde marqué par l’arrivée des technologies d’information et de communication. Vicente (2017, p : 43) signale aussi, d’après son enquête sur le terrain, que les plus jeunes sont plus touchés que les adultes par le nivellement dialectal, une situation où les différences de genres semblent s’amenuiser ou même disparaître.

[25] W. Labov, 1998. P : 35.

[26] Les grammairiens arabes et les religieux musulmans se sont préoccupés des points d’articulations et des sorties des phonèmes arabes telle que "l’imāla" ; ils ont simplifié cela dans leurs manuscrits, en expliquant l'importance d'en tenir compte pour l'amélioration de la lecture coranique, parce que chaque lettre ou phonème en constitue une issue. À savoir que, la maîtrise de la lecture coranique est synonyme d’une maîtrise de la performance de la langue arabe. Apprendre à prononcer le Coran c’est aussi apprendre la prononciation de la langue arabe et sa vraie articulation. Ce qui rappelle le grand rôle des "Zaouayats" dans l’enseignement du Coran et de la langue arabe au pays de Jbala. Ce qui a facilité le processus d’arabisation précoce de cette région du Maroc.

[27] À. Vicente, 2017. P : 38.

[28] Plus de la moitié de nos informateurs sont des femmes. Elles nous ont fourni un nombre important de données de ce patrimoine oral que nous ne pouvons limiter à cet article, à savoir les contes, les chants populaires, les proverbes, sans oublier nos discussions à propos des traditions et des coutumes agricoles.

[29] Ibid.

[30] Jairo Guererro, 2016. « Les parlers Jbalas villageois. Etude grammaticale d’une typologie rurale de l’arabe maghrébin », Dialectologia 2018, 85-105, Université de Grenade. P : 89.

[31] Ibid. Voir aussi Marçais (1950 : 211) et Féraud (1870 : 37) : le premier précise que ī et ū deviennent ē et ō devant l’affixe -ha de la troisième personne du féminin dans les dialectes villageois de Tunisie. Tandis que le deuxième souligne que « la lettre a se rend souvent é » dans la Kabylie orientale.    

[32] Jean Dubois et al., 2007, Grand dictionnaire linguistique et sciences de langage, Paris : Larousse, p.148.

[33] L. Provençal, 1922, op. cit, p : 33.

[34] W. Marçais, 1911, op. cit, p : 99.

[35] M. Gaudefroy-Demom-Bynes et L. Mercier, 1914, Manuel d’Arabe Marocain, Paris. p : 144.

 Il faut préciser, dans ce sens, qu’en plus du parler jebli, plusieurs villes marocaines impériales (comme Fès et Meknès) utilisent le diminutif dans leurs parlers. 

[36] L.-J. Calvet., 1999. Pour une écologie des langues du monde, Plon, Paris. P : 38.

[37] Cela est confirmé, à plusieurs reprises, dans les données linguistiques recueillies par Vicente, depuis qu’elle a commencé à travailler dans cette région de Jbâla, en 1995, notamment dans la zone de Fahs-Anjra. Voici un échantillon des paroles des femmes jeblies interrogées par Vicente : əl-haḍra dyānna māši fḥāl əl-haḍra d-ən-nās d-ntāxəl, ƫəmma f-əškəl u hnāya f-əškəl (= notre façon de parler n’est pas comme la façon de parler de gens de l’intérieur, là-bas ils parlent d’une façon et ici, d’une autre. (Á.Vicente 2017, « Les  parlers arabes montagnards du Nord du Maroc, une question d’identité langagière », dans  Á.Vicente, D.Caubet, A.Naciri-Azzouz., La région du Nord-Ouest marocain : Parlers et pratiques sociales et culturelles., éds Pensas de universidad de Zaragoza, p : 29.

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