Hors série n°1 / Genres et pratiques dans le monde arabe et méditerranéen

Genres et pratiques dans le monde arabe et méditerranéen

Préface

Abdenbi Lachkar, Yacine Boulaghmen

Résumé

La diversité socioculturelle et linguistique de la région Méditerranée reflète à la fois la transmission de pratiques et de modes de vie de génération en génération et l’interaction interculturelle entre les communautés de cette aire géographique jouxtant différentes sphères et sociétés. Ce brassage culturel est réalisé principalement par le déplacement des individus et des groupes (voyage, relations familiales, migration, invasion, occupation, colonisation, etc.), il est enrichi par des pratiques socio-historiques bien enracinées dans les pratiques individuelles et collectives, qui évoluent grâce au contact des langues et des cultures, par le biais des signes, à la fois collectés et véhiculés dans des corpus multiformes.

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Le présent numéro démontre à quel point la diversité culturelle de la Méditerranée est synonyme de différence de points de vue, c’est-à-dire de perception des signes, des symboles et des sens dans l’espace et dans le temps. En d’autres termes, les moyens d’expression auxquels recourent les membres de chaque communauté de cette zone géostratégique du monde ont tendance à traduire des relations de proximité et d’éloignement, de ressemblance et de différence, d'influence et de domination, de pouvoir et de non pouvoir, de force et de faiblesse, de guerre et de paix, etc. L’héritage colonial et postcolonial, toujours présent dans les pratiques et les discours des uns et des autres, reste l’élément central et le moteur inspirateur de ces relations contradictoires, voire conflictuelles mais essentielles pour garantir une continuité au bon voisinage, qui a tellement marqué les sociétés de la zone et qui se traduit dans les rapports individuels et collectifs des populations de cet espace.

Cet héritage est esquissé dans l’article de Paulette AYOUB, qui soulève la question des genres textuels dans l’enseignement de la langue françaises au Liban. L’enquête sociolinguistique menée par l’auteure tente de révéler l’attitude des apprenants envers l’exploitation des genres textuels en classe, et de rendre compte de leur efficacité dans le développement du langage oral et écrit. Dans cette contribution, l’accent est mis sur la contexte linguistique libanais caractérisé par la diglossie, la pluriglossie et le plurilinguisme, représentés par l’existence simultanée de l’arabe fusha ou standard et l’arabe dialectal, d’un côté, et des autres langues étrangères, notamment le français qui renvoie au passé colonial du pays ; cela fait de la langue française, à côté de l’anglais et de l’arabe, une des langues étrangères dominantes dans le système éducatif libanais.

La question des genres concerne aussi le genre dans le sens de gender. La contribution d’Evy Johanne HÅLAND, qui relie le passé au présent en adoptant une méthodologie combinant enquête de terrain et études des sources anciennes, aborde ce type de genres. L’objectif principale de cette recherche serait de déconstruire les croyances forgées depuis la Grèce antique, par une vision masculine, sur les rites de guérison pratiqués jusqu’à aujourd’hui par les femmes grecques dans la sphère domestique.

C’est justement ce rapport femme/homme impliquant aussi oral/écrit que l’article de Sakina AMOURAK propose de mettre en exergue, ce en présentant des résultats de recherches psycho-socio-linguistiques sur la place de la femme jeblie dans la conservation de la langue, notamment l’usage de l’arabe marocain montagnard (jebli) dans un espace convoité par l’emploi d’autres langues à causes des déplacements des locuteurs de et vers les zones urbaines. Elle rend compte des particularités des locuteurs jeblis au sein de leur environnement, interrogeant ainsi les rapports de genres et de sexes dans leurs pratiques socio-discursives.

Les études de genre se bifurquent sur celles de l’identité au sein d’une société précise. Une identité qui se construit par le biais d’un changement spatiale et/ou temporel. L’émigration compte souvent parmi les facteurs de cette évolution. Christine BUISSOU propose en ce sens une étude de corpus multiforme tiré de médias traditionnels, de médias numériques et de réalisations théâtrales. Cette recherche se situe dans un contexte méditerranéen et a pour objectif de mettre au goût du jour des principes d’individuation du féminin, de questionner le rapport intersubjectif au sein de l’expérience culturelle et de l’identité en construction.

Alors que les travaux de Bouissou articulent sensibilité et rationalité, Imane JOTTI propose à travers une analyse des œuvres de Mohammed JAAMATI (2016) une extériorisation de l’émotion envers une femme vagabonde d’origine maghrébine que l’artiste représente dans des portraits artistiques. De cette manière, ce dernier partage avec son public amateur d’art plastique sur son réseau social le goût de l’amertume et de la tristesse ressenties dans le temps et dans l’espace. Il reproduit cette forte émotion ressentie dans une série de tableaux, ce qui incite à découvrir le sens invisible du perceptible et situe l’étude dans le domaine de la sémiotique et de la phénoménologie structurales. Cela participerait à la structuration du sens à partir d’indices manifestant un langage diversifié reliant l’image aux mots, et à travers des stratégies persuasives éveillant la conscience individuelle et collective vis-à-vis de cette femme laissée à son sort dans les rues du désespoir, alors que les valeurs socioculturelles ancestrales surestiment la femme, la valorisent comme le socle de la société et imposent sa protection au sein de son entourage familial pour la préservation des progénitures. 

Si l’expression en aquarelle se transmet par l’image, le septième art permet de mettre en évidence des représentations audio-visuelles d’une réalité sociale pouvant combiner trois types de messages : symbolique, psychique et linguistique (Barthes, 1964). La contribution de Raja TAWIL propose ainsi d’établir le constat de Hayssam KOTOB (2007) sur l’emploi des mots étrangers au sein du parler arabe libanais. Il s’agit ici d’une transposition cinématographique d’une pratique sociolinguistique pour rendre compte de son rôle dans l’atténuation de la charge sémantique des propos sexuels dans le cinéma libanais. Vu sous cet angle, il importe de souligner le rôle des productions artistiques dans la description d’un phénomène social pouvant alimenter ou déconstruire des stéréotypes. Autrement dit, une production artistique constitue un médium contribuant à forger la doxa, tout comme un corpus médiatique.

Dans cette optique, l’étude de Mohamed-Chawki BEN HASSEN tente d’expliquer à quel point le roman Hot Maroc de Yāsīn ʿAdnān (2016) parvient à créer un trait d’union entre l’univers littéraire et celui du journalisme. L’analyse de BEN HASSEN tente aussi de souligner la particularité de ce roman de décrire le rôle du journalisme électronique d’un point de vue sociétal et non pas à travers les coulisses du journalisme. Cette œuvre est à la fois le fruit d’une expérience personnelle au sein de la société marocaine et d’une connaissance réelle du milieu, puisque Yāsīn ʿAdnān est journaliste de profession. La richesse de ce parcours hybride lui permet de bien identifier son lectorat, d’aborder les sujets qui le préoccupent et d’employer les mots qui le captivent.  Ces critères parmi d’autres sont des ingrédients nécessaires à la production d’un discours qui vise à convaincre pour pouvoir gouverner.

Dans cette perspective, l’analyse texto-métrique du discours du président égyptien Abdelfattah AL-SISSI, par Yacine BOULAGHMEN, met en lumière l’usage d’un nombre de formules devant une audience nationale et internationale, dans un contexte géopolitique secoué depuis décembre 2010, par une vague de révoltes populaires sans précédent dans le monde arabe. Cette recherche part du principe que l’usage des mots en politique doit se mettre au diapason des besoins du moment en matière de gouvernance, dans un monde interconnecté par le truchement de la technologie.

Les huit contributions de ce numéro portant sur les genres en Méditerranée et dans la sphère arabe représentent un panorama socio-linguistique et un patchwork culturel de la région étudiée. Les résultats des travaux présentés constituent une matière première destinée à des recherches pluridisciplinaires ultérieures, ayant pour objectif d’étudier de plus près les genres, les pratiques et les représentations qui caractérisent les identités arabes et méditerranéennes.

 

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